Language of document : ECLI:EU:C:2021:311

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 avril 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 2 TUE – Valeurs de l’Union européenne – État de droit – Article 49 TUE – Adhésion à l’Union – Non-régression du niveau de protection des valeurs de l’Union – Protection juridictionnelle effective – Article 19 TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Champ d’application – Indépendance des juges d’un État membre – Procédure de nomination – Pouvoir du Premier ministre – Participation d’une commission des nominations judiciaires »

Dans l’affaire C‑896/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili – Ġurisdizzjoni Kostituzzjonali (première chambre du tribunal civil, siégeant comme juridiction constitutionnelle, Malte), par décision du 25 novembre 2019, parvenue à la Cour le 5 décembre 2019, dans la procédure

Repubblika

contre

Il-Prim Ministru,

en présence de :

WY,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, M. Ilešič et N. Piçarra, présidents de chambre, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, S. Rodin, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, P. G. Xuereb et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 octobre 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour Repubblika, par Me J. Azzopardi, avukat, Me S. Busuttil, advocate, et Me T. Comodini Cachia, avukat,

–        pour le gouvernement maltais, par Mmes V. Buttigieg et A. Buhagiar, en qualité d’agents, assistées de Mes D. Sarmiento Ramirez-Escudero et V. Ferreres Comella, abogados,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet, M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes C. Meyer-Seitz, H. Shev, H. Eklinder, R. Shahsavan Eriksson, A. M. Runeskjöld et M. Salborn Hodgson ainsi que par MM. O Simonsson et J. Lundberg, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, initialement par MM. K. Mifsud-Bonnici, P. J. O. Van Nuffel et H. Krämer ainsi que par Mme J. Aquilina, puis par MM. K. Mifsud-Bonnici et P. J. O. Van Nuffel ainsi que par Mme J. Aquilina, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 décembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19 TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Repubblika, une association, enregistrée en tant que personne juridique à Malte, dont l’objet est de promouvoir la protection de la justice et de l’État de droit dans cet État membre, au Il-Prim Ministru (Premier ministre, Malte) au sujet d’une action populaire ayant notamment pour objet la conformité au droit de l’Union des dispositions de la Constitution de Malte (ci-après la « Constitution ») régissant la procédure de nomination des juges.

 Le cadre juridique

3        La Constitution contient, à son chapitre VIII, des règles relatives à la magistrature, dont celles gouvernant la procédure de nomination des juges.

4        Sous ce chapitre VIII, l’article 96 de la Constitution prévoit :

« (1)      Les Imħallfin (juges des tribunaux supérieurs) sont nommés par le président de la République sur avis du Premier ministre.

(2)      Une personne n’est qualifiée pour être nommée juge des tribunaux supérieurs que si, pendant une période continue de douze ans au moins ou pendant des périodes atteignant au total douze ans au moins, elle a exercé la profession d’avocat à Malte ou occupé le poste de Maġistrat (juge des tribunaux inférieurs) à Malte, ou encore exercé successivement les deux professions.

(3)      Sans préjudice du paragraphe (4), avant que le Premier ministre ne donne son avis conformément au paragraphe (1) concernant la nomination d’un juge des tribunaux supérieurs [autre que le Prim Imħallef (juge en chef)], la commission des nominations judiciaires instituée par l’article 96A de la présente Constitution procède, conformément à l’article 96A, paragraphe 6, points (c), (d) ou (e), à l’évaluation.

(4)      Sans préjudice du paragraphe (3), le Premier ministre a la faculté de choisir de ne pas se conformer aux résultats de l’évaluation visée au paragraphe (3) :

Pour autant que, après avoir fait usage de cette faculté, le Premier ministre ou le Ministru responsabbli għall-ġustizzja (ministre chargé de la Justice) :

(a)      publie dans les cinq jours une déclaration à la Gazzetta tal-Gvern ta’ Malta annonçant la décision de faire usage de cette faculté et énonçant les motifs ayant conduit à cette décision ; et

(b)      fasse une déclaration à la Kamra tad-Deputati (Chambre des représentants) concernant cette décision, expliquant les motifs sur lesquels elle se base, au plus tard lors de la deuxième séance de la Chambre après que l’avis a été donné au président de la République conformément au paragraphe (1) :

Cependant, la première condition du présent paragraphe ne s’applique pas dans le cas de la nomination du juge en chef. »

5        L’article 96A de la Constitution est rédigé comme suit :

« (1)      Il est institué une commission des nominations judiciaires dénommée dans le présent article la “commission”, qui est une sous-commission de la Kummissjoni għall-Amministrazzjoni tal-ġustizzja (Conseil supérieur de la justice) instituée par l’article 101A de la présente Constitution, et qui est composée comme suit :

(a)      le juge en chef ;

(b)      l’Avukat Ġenerali (procureur général) ;

(c)      l’Awditur Ġenerali (auditeur général) ;

(d)      le Kummissarju għall-Investigazzjonijiet Amministrattivi (commissaire chargé des enquêtes administratives) (ombudsman) ; et

(e)      le président de la Kamra tal-Avukati (chambre des avocats) :

[...]

(2)      La commission est présidée par le juge en chef ou, en son absence, par le juge qui le remplace conformément au paragraphe (3), sous (d).

(3)      (a)      Une personne n’est pas qualifiée pour être nommée ou pour continuer à siéger comme membre de la commission si elle est ministre, secrétaire d’État, membre de la Chambre des représentants, membre d’une collectivité locale ou encore un représentant ou un candidat d’un parti politique :

[...]

(4)      Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la commission agissent en toute autonomie et ne sont soumis à aucune direction ni à aucun contrôle de quelque autre personne ou autorité que ce soit.

[...]

(6)      La commission exerce les fonctions suivantes :

(a)      elle reçoit et examine les expressions d’intérêt de la part de personnes intéressées à être nommées comme juges des tribunaux supérieurs (à l’exception de la fonction de juge en chef) ou comme juges des tribunaux inférieurs, sauf celles provenant de personnes relevant du point (e) ;

(b)      elle tient un registre permanent des expressions d’intérêt mentionnées au point (a) et des actes y afférents, registre qui est gardé secret et auquel n’ont accès que les membres de la commission, le Premier ministre et le ministre chargé de la Justice ;

(c)      elle mène des entrevues et des évaluations de candidats aux fonctions susmentionnées, de la manière qu’elle considère appropriée, et à cet effet elle demande à toute autorité publique les renseignements qu’elle considère raisonnablement nécessaires ;

(d)      elle donne son avis au Premier ministre, par l’intermédiaire du ministre chargé de la Justice, à propos de son évaluation de l’éligibilité et de l’adéquation des candidats aux fonctions susmentionnées ;

(e)      à la demande du Premier ministre, elle donne son avis sur l’éligibilité et l’adéquation des personnes qui exercent déjà les fonctions de procureur général, d’auditeur général, de commissaire chargé des enquêtes administratives ou de juge des tribunaux inférieurs pour être nommés à une fonction judiciaire ;

(f)      elle donne l’avis que peut demander à tout moment le ministre chargé de la Justice, sur toute autre nomination judiciaire ou dans les tribunaux :

L’évaluation visée au point (d) est effectuée au plus tard soixante jours à compter de la réception par la commission de l’expression d’intérêt et les avis mentionnés aux points (e) et (f) sont donnés au plus tard 30 jours après qu’ils ont été demandés, ou dans les délais que le ministre chargé de la Justice peut établir, avec l’accord de la commission, par ordonnance publiée à la Gazzetta tal-Gvern ta’ Malta.

(7)      La procédure de la commission est confidentielle et a lieu à huis clos ; aucun membre ou secrétaire de la commission ne sera appelé à témoigner devant un tribunal ou autre organe en ce qui concerne les documents reçus ou les matières discutées par la commission ou communiquées à celle‑ci ou par elle.

(8)      La commission règle sa propre procédure et est tenue de publier, avec l’accord du ministre chargé de la Justice, les critères sur lesquels elle base ses évaluations. »

6        L’article 97 de la Constitution énonce :

« (1)      Sans préjudice des dispositions du présent article, un juge des tribunaux supérieurs quitte sa fonction lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans.

(2)      Un juge des tribunaux supérieurs ne peut être révoqué que par le président de la République à la suite d’une motion de la Chambre des représentants entérinée par au moins deux tiers de ses membres, motion fondée sur des preuves d’inaptitude à exercer les fonctions liées à sa charge (en raison d’une incapacité physique ou mentale ou pour toute autre raison) ou de faute.

(3)      Le Parlement peut régler par voie législative la procédure de présentation d’une motion et d’enquête et la preuve de l’inaptitude à exercer les fonctions liées à la charge ou de la faute d’un juge des tribunaux supérieurs conformément au paragraphe précédent. »

7        L’article 100 de la Constitution prévoit :

« (1)      Les juges des tribunaux inférieurs sont nommés par le président de la République sur avis du Premier ministre.

(2)      Une personne n’est qualifiée pour être nommée ou pour exercer la fonction de juge des tribunaux inférieurs que si, pendant une période continue de sept ans au moins ou pendant des périodes atteignant au total sept ans au moins, elle a exercé la profession d’avocat à Malte.

(3)      Sans préjudice du paragraphe (4) du présent article, un juge des tribunaux inférieurs quitte sa fonction lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans.

(4)      Les dispositions de l’article 97, paragraphes (2) et (3), de la présente Constitution s’appliquent aux juges des tribunaux inférieurs.

(5)      Sans préjudice du paragraphe (6), avant que le Premier ministre ne donne son avis conformément au paragraphe (1) concernant la nomination d’un juge des tribunaux inférieurs, la commission des nominations judiciaires instituée par l’article 96A de la présente Constitution procède, conformément à l’article 96A, paragraphe 6, points (c), (d) ou (e), à l’évaluation.

(6)      Sans préjudice du paragraphe (5), le Premier ministre a la faculté de choisir de ne pas se conformer aux résultats de l’évaluation visée au paragraphe (5) :

Pour autant que, après avoir fait usage de cette faculté, le Premier ministre ou le ministre chargé de la Justice :

(a)      publie dans les cinq jours une déclaration à la Gazzetta tal-Gvern ta’ Malta annonçant la décision de faire usage de cette faculté et énonçant les motifs ayant conduit à cette décision ; et

(b)      fasse une déclaration à la Chambre des représentants concernant cette décision, expliquant les motifs sur lesquels elle se base, au plus tard lors de la deuxième séance de la Chambre après que l’avis a été donné au président de la République conformément au paragraphe (1). »

8        L’article 101B, paragraphe 1, de la Constitution dispose :

« Il est institué un comité pour les juges des tribunaux supérieurs et les juges des tribunaux inférieurs, [...] qui est un sous-comité du Conseil supérieur de la justice, composé de trois juges qui ne sont pas membres du Conseil supérieur de la justice, élus parmi les juges des tribunaux supérieurs et les juges des tribunaux inférieurs conformément aux règles adoptées par le Conseil supérieur de la justice, de telle sorte cependant que, dans les procédures disciplinaires à l’encontre d’un juge des tribunaux inférieurs, deux des trois membres soient des juges des tribunaux inférieurs et, en cas de procédure disciplinaire à l’encontre d’un juge des tribunaux supérieurs, deux des trois membres soient des juges des tribunaux supérieurs. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Repubblika a, le 25 avril 2019, introduit, conformément à l’article 116 de la Constitution, une action, qualifiée d’action populaire, devant la juridiction de renvoi en demandant qu’il soit déclaré que, en raison du système existant de nomination des juges, tel que régi par les articles 96, 96A et 100 de la Constitution, la République de Malte enfreint ses obligations au titre, notamment, des dispositions conjointes de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte. Elle demande également que toute nomination de juges dans le cadre du système existant et intervenant pendant le cours de la procédure entamée par cette action populaire soit déclarée nulle et sans effet et que d’autres juges ne soient pas nommés si ce n’est conformément aux recommandations contenues dans l’avis no 940/2018 de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (ci‑après la « commission de Venise »), du 17 décembre 2018, sur les dispositions constitutionnelles, la séparation des pouvoirs et l’indépendance des organes judiciaires et répressifs à Malte [CDL-AD (2018)028] ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la Charte.

10      À l’appui de sa demande, Repubblika fait valoir que le pouvoir discrétionnaire du Premier ministre pour nommer les juges, tel qu’il ressort des articles 96, 96A et 100 de la Constitution, soulève des doutes quant à l’indépendance de ces juges. Elle souligne, à cet égard, qu’un certain nombre de juges nommés depuis l’année 2013 étaient très actifs dans le Partit laburista (parti travailliste) qui est au gouvernement, ou ont été nommés de telle manière qu’il est permis de suspecter une intrusion du pouvoir politique dans le pouvoir judiciaire.

11      Repubblika précise également qu’elle attaque spécifiquement l’ensemble des nominations intervenues le 25 avril 2019 et concernant trois juges des tribunaux inférieurs nommés comme juges des tribunaux supérieurs et trois nouveaux juges des tribunaux inférieurs (ci-après les « nominations du 25 avril 2019 »), ainsi que toute autre nomination qui pourrait avoir eu lieu ultérieurement. Elle soutient, à cet égard, que ces nominations ont été effectuées en méconnaissance de l’avis n° 940/2018 de la commission de Venise, du 17 décembre 2018.

12      Le Premier ministre estime, au contraire, que les nominations du 25 avril 2019 sont conformes à la Constitution et au droit de l’Union. Il n’y aurait aucune différence entre ces nominations et toute autre nomination de juges ayant eu lieu depuis l’adoption de la Constitution au cours de l’année 1964, à l’exception du fait que, à la différence des nominations intervenues avant l’année 2016, l’adéquation des candidats présentés au cours de l’année 2019 aux fonctions en cause a été examinée par la commission des nominations judiciaires instituée par l’article 96A de la Constitution. Ainsi, les arguments présentés par Repubblika concerneraient, en réalité, toute nomination de juges ayant eu lieu jusqu’à présent.

13      Selon le Premier ministre, la procédure de nomination en cause est conforme aux exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, tels qu’interprétés par la Cour.

14      La juridiction de renvoi considère que, en l’occurrence, l’aspect qui mérite d’être examiné par la Cour, sous l’angle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, porte sur le pouvoir discrétionnaire que les articles 96, 96A et 100 de la Constitution confèrent au Premier ministre dans le cadre de la procédure de nomination des juges. En outre, selon elle, se pose la question de savoir si la modification constitutionnelle effectuée au cours de l’année  2016 a apporté une amélioration à la procédure en cause.

15      Dans ces circonstances, la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili – Ġurisdizzjoni Kostituzzjonali (première chambre du tribunal civil, siégeant comme juridiction constitutionnelle, Malte) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 19, paragraphe 1[, second alinéa], TUE et l’article 47 de la [Charte], lus seuls ou conjointement, peuvent-ils être considérés comme applicables s’agissant de la validité juridique des articles 96, 96A et 100 de la Constitution ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, le pouvoir du Premier ministre dans le processus de nomination des juges à Malte doit-il être considéré comme conforme à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la [Charte] et cela compte tenu également de l’article 96A de la Constitution, entré en vigueur au cours de l’année 2016 ?

3)      S’il apparaît que le pouvoir du Premier ministre n’est pas conforme, ce fait doit-il être pris en considération pour les nominations à venir, ou bien les nominations antérieures sont-elles également affectées ? »

 La demande de procédure accélérée et la procédure devant la Cour

16      Dans sa décision de renvoi, la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili – Ġurisdizzjoni Kostituzzjonali (première chambre du tribunal civil, siégeant comme juridiction constitutionnelle) a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

17      À l’appui de sa demande, la juridiction de renvoi a fait valoir, en substance, que les questions faisant l’objet de la présente affaire sont d’intérêt national, une réponse à celles-ci étant susceptible d’affecter la sécurité juridique liée aux décisions judiciaires déjà prononcées par les diverses juridictions maltaises, y compris par les juges nommés au mois d’avril 2019, ainsi que les fondements et la continuité du système juridictionnel maltais. À cela s’ajouterait le fait que, dans un futur proche, plusieurs juges atteindront l’âge de la retraite et que, au cours de la présente procédure, à défaut de remplacement de ces juges par d’autres, la pression résultant de cette situation sur l’activité des juges restant en fonction pourrait s’avérer préjudiciable au droit fondamental à un procès équitable dans un délai raisonnable.

18      L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

19      Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 48].

20      Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas approprié d’écourter la phase écrite de la procédure devant la Cour [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 49].

21      En l’occurrence, le 19 décembre 2019, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de rejeter la demande de la juridiction de renvoi visée au point 16 du présent arrêt.

22      En effet, tout d’abord, la juridiction de renvoi elle-même a considéré que l’affaire au principal n’était pas urgente au point de justifier l’adoption de mesures provisoires. Ensuite, l’importance des effets de l’arrêt de la Cour dans la présente affaire sur le système judiciaire maltais n’est pas, en tant que telle, une raison établissant l’urgence nécessaire pour justifier un traitement par voie accélérée. Enfin, la présente affaire soulève des questions sensibles et complexes qui justifiaient qu’il ne soit pas dérogé aux règles de procédure ordinaires applicables en matière de renvoi préjudiciel.

23      Le même jour, le président de la Cour a également décidé de soumettre la présente affaire à un traitement prioritaire conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

24      Lors de l’audience qui s’est tenue le 27 octobre 2020, la Cour a été informée du fait que certains amendements avaient été apportés à la Constitution au mois de juillet 2020 à la suite des recommandations relatives au système de nominations judiciaires formulées dans l’avis no 940/2018 de la commission de Venise, du 17 décembre 2018, et que ces amendements avaient fait l’objet de l’avis n° 993/2020 de cette commission, du 8 octobre 2020, portant sur les dix lois et projets de loi transposant les propositions législatives énoncées dans l’avis de la commission de Venise du 17 décembre 2018 [CDL-AD (2020)019].

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité 

25      Le gouvernement polonais considère que les questions préjudicielles sont irrecevables pour deux raisons.

26      Ce gouvernement fait observer, en premier lieu, que la juridiction de renvoi a posé ses questions préjudicielles à la Cour afin que, en fonction des réponses apportées à celles-ci, elle puisse décider de la conformité des dispositions de droit maltais en cause au principal au droit de l’Union. Or, la compétence pour apprécier, au titre des articles 258 et 259 TFUE, la conformité de dispositions de droit national au droit de l’Union reviendrait à la seule Cour, à l’exclusion des juridictions nationales, et seuls la Commission européenne ou un État membre pourraient engager une procédure au titre de ces dispositions du droit de l’Union. Par conséquent, une juridiction nationale ne pourrait, sous peine de contourner la procédure prévue aux articles 258 et 259 TFUE, juger de la conformité du droit national au droit de l’Union en se fondant sur l’interprétation de ce dernier droit fournie dans le cadre de la procédure préjudicielle, dans la mesure où la Cour elle‑même ne s’estimerait pas compétente pour procéder à un tel contrôle de conformité au titre de cette dernière procédure. L’interprétation du droit de l’Union fournie par la Cour dans le cadre de la présente procédure ne pourrait donc être considérée comme nécessaire pour résoudre le litige au principal, au sens de l’article 267 TFUE.

27      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de la présente demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi estime devoir obtenir de la Cour une interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte au regard des doutes qu’elle nourrit, dans le cadre d’une action populaire introduite devant elle sur le fondement du droit national, quant à la conformité à ces dispositions du droit de l’Union des dispositions nationales relatives au processus de nomination des juges.

28      Or, la procédure de renvoi préjudiciel instituée par l’article 267 TFUE constitue précisément une procédure de coopération directe entre la Cour et les juridictions des États membres. Dans le cadre de cette procédure, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national, auquel il appartient d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour, alors que la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par le juge national (arrêts du 25 octobre 2017, Polbud – Wykonawstwo, C‑106/16, EU:C:2017:804, point 27, et du 30 mai 2018, Dell’Acqua, C‑370/16, EU:C:2018:344, point 31).

29      À cet égard, la mission de la Cour doit être distinguée selon qu’elle se trouve saisie d’un renvoi préjudiciel, comme en l’occurrence, ou d’un recours en constatation de manquement. En effet, alors que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour doit vérifier si la mesure ou la pratique nationale contestée par la Commission ou un État membre autre que celui concerné est, d’une manière générale et sans qu’il soit nécessaire qu’il existe un contentieux y relatif porté devant les juridictions nationales, contraire au droit de l’Union, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, est, en revanche, d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant elle (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 47).

30      Il convient également de rappeler que, s’il ne lui appartient pas de se prononcer, dans le cadre de la procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions du droit national avec les règles du droit de l’Union, la Cour est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant de ce dernier droit qui peuvent permettre à celle-ci d’apprécier une telle conformité pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie (arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales, C‑118/08, EU:C:2010:39, point 23 et jurisprudence citée). Il revient à la juridiction de renvoi de procéder à une telle appréciation, à la lumière des éléments d’interprétation ainsi fournis par la Cour.

31      Il s’ensuit que l’objection du gouvernement polonais mentionnée au point 26 du présent arrêt, selon laquelle une réponse aux questions posées par la juridiction de renvoi dans la présente affaire au titre de l’article 267 TFUE contournerait les articles 258 et 259 TFUE, doit être écartée.

32      En second lieu, le gouvernement polonais fait observer que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en vertu duquel les États membres sont tenus d’établir des voies de recours effectives dans les domaines couverts par le droit de l’Union, ne modifie pas la substance du principe d’attribution ni l’étendue des compétences de l’Union. Au contraire, cette disposition reposerait sur la prémisse selon laquelle, en l’absence de compétence de l’Union dans le domaine de l’organisation du système judiciaire, il incombe aux États membres de désigner les juridictions compétentes et de prévoir des règles procédurales adéquates destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’ordre juridique de l’Union. Par conséquent, aucune règle spécifique régissant la nomination des juges ou l’organisation des juridictions nationales ne pourrait être dégagée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Quant à l’article 47 de la Charte, celui-ci serait inapplicable en l’occurrence. En effet, Repubblika aurait introduit une action populaire, mais elle ne se prévaudrait pas d’un droit subjectif qu’elle tirerait du droit de l’Union. Ainsi, en l’occurrence, il n’y aurait pas de « mise en œuvre » du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

33      À cet égard, il suffit de relever que les objections ainsi avancées par le gouvernement polonais ont en substance trait à la portée même du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19 TUE et de l’article 47 de la Charte, et, partant, à l’interprétation de ces dispositions. De tels arguments, qui concernent donc le fond des questions posées, ne sauraient ainsi, par essence même, conduire à une irrecevabilité de celles-ci [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 80].

34      Les questions préjudicielles sont, dès lors, recevables.

 Sur la première question

35      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et l’article 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils sont susceptibles d’être appliqués dans une affaire dans laquelle une juridiction nationale est saisie d’un recours prévu par le droit national et tendant à ce que cette juridiction se prononce sur la conformité au droit de l’Union de dispositions nationales régissant la procédure de nomination des juges de l’État membre dont relève ladite juridiction.

36      S’agissant, d’une part, du champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il convient de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 29, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 111 et jurisprudence citée].

37      En vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tout État membre doit ainsi notamment assurer que les instances relevant, en tant que « juridictions », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union et qui sont, partant, susceptibles de statuer, en cette qualité, sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 112 et jurisprudence citée].

38      À cet égard, il est constant que les juges maltais peuvent être appelés à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union et qu’ils relèvent, en tant que « juridictions », au sens défini par ce droit, du système maltais de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ces juridictions doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 114 ainsi que jurisprudence citée].

39      Par ailleurs, il résulte de la demande de décision préjudicielle et des points 9 à 11 du présent arrêt que la juridiction de renvoi se trouve saisie d’un recours, prévu par le droit national, par lequel Repubblika conteste la conformité de dispositions concernant la procédure de nomination des juges maltais, notamment, aux exigences d’indépendance du système judiciaire des États membres posées par le droit de l’Union. Or, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a vocation à s’appliquer dans le contexte d’un recours ayant ainsi pour objet de contester la conformité au droit de l’Union de dispositions de droit national dont il est allégué qu’elles sont susceptibles d’affecter l’indépendance des juges (voir, par analogie, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 11 à 13 et 46 à 52).

40      S’agissant, d’autre part, de l’article 47 de la Charte, il importe de rappeler que cette disposition, qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective, consacre, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal [arrêts du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04, C‑93/12, EU:C:2013:432, point 59, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 87 et jurisprudence citée].

41      Ainsi, la reconnaissance de ce droit, dans un cas d’espèce donné, suppose, comme il ressort de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, que la personne qui l’invoque se prévale de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union [arrêts du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 55, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 88].

42      Or, il ne ressort pas des informations contenues dans la décision de renvoi que, dans le litige au principal, Repubblika se prévaut d’un droit dont elle se trouverait investie au titre d’une disposition du droit de l’Union. En effet, dans ce litige, est mise en cause la conformité au droit de l’Union des dispositions constitutionnelles régissant la nomination des juges.

43      Certes, Repubblika conteste également la légalité des nominations du 25 avril 2019 ainsi que de toute nomination éventuelle ultérieure qui ne serait pas conforme aux recommandations de l’avis no 940/2018 de la commission de Venise, du 17 décembre 2018, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la Charte. Cependant, la contestation de Repubblika à cet égard ne se fonde que sur la prétendue non-conformité au droit de l’Union desdites dispositions constitutionnelles sur la base desquelles ces nominations ont été décidées, sans que Repubblika invoque une quelconque violation, découlant de ces nominations, d’un droit dont elle se trouverait investie au titre d’une disposition du droit de l’Union.

44      Dans ces conditions, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, l’article 47 de celle-ci n’est pas, en tant que tel, applicable au litige au principal.

45      Cela étant, dès lors que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose à tous les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle effective, au sens notamment de l’article 47 de la Charte, cette dernière disposition doit être dûment prise en considération aux fins de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [arrêts du 14 juin 2017, Online Games e.a., C‑685/15, EU:C:2017:452, point 54, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 143 et jurisprudence citée].

46      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible d’être appliqué dans une affaire dans laquelle une juridiction nationale est saisie d’un recours prévu par le droit national et tendant à ce que cette juridiction se prononce sur la conformité au droit de l’Union de dispositions nationales régissant la procédure de nomination des juges de l’État membre dont relève ladite juridiction. Aux fins de l’interprétation de cette disposition, l’article 47 de la Charte doit être dûment pris en considération.

 Sur la deuxième question

47      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales qui confèrent au Premier ministre de l’État membre concerné un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges, tout en prévoyant l’intervention, dans ce processus, d’un organe chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre.

48      À cet égard, il importe de rappeler que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Il peut en aller de la sorte, notamment, s’agissant de règles nationales relatives à l’adoption des décisions de nomination des juges [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 68 et jurisprudence citée ainsi que point 79].

49      L’article 19 TUE confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 108].

50      À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans les domaines couverts par le droit de l’Union ainsi que d’assurer que les juridictions relevant de ce système et susceptibles de statuer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 109 et 112 ainsi que jurisprudence citée].

51      Dans ce contexte, l’indépendance des juges des États membres revêt une importance fondamentale pour l’ordre juridique de l’Union à divers titres (arrêt du 9 juillet 2020, Land Hessen, C-272/19, EU:C:2020:535, point 45). Elle est, ainsi, essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, en ce que ce mécanisme ne peut être activé que par une instance, chargée d’appliquer le droit de l’Union, qui répond, notamment, à ce critère d’indépendance (voir, notamment, arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 56 et jurisprudence citée). Par ailleurs, l’exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective et à un procès équitable prévu à l’article 47 de la Charte, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, points 70 et 71, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 116 et jurisprudence citée].

52      Ainsi, tandis que l’article 47 de la Charte contribue au respect du droit à une protection juridictionnelle effective de tout justiciable qui se prévaut, dans une espèce donnée, d’un droit qu’il tire du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE vise, quant à lui, à assurer que le système de voies de recours  établi par tout État membre garantisse la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.

53      Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de cette instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 53 ; du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 66, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 117 et jurisprudence citée].

54      Conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 124, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 118].

55      À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles mentionnées au point 53 du présent arrêt doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés [arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 112, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 119].

56      S’agissant, en particulier, des conditions dans lesquelles interviennent les décisions de nomination des juges, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que le seul fait que les juges concernés soient nommés par le président de la République d’un État membre n’est pas de nature à créer une dépendance de ces derniers à son égard ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si, une fois nommés, les intéressés ne sont soumis à aucune pression et ne reçoivent pas d’instructions dans l’exercice de leurs fonctions [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 133, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 122].

57      La Cour a, toutefois, également indiqué qu’il demeurait nécessaire de s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption desdites décisions de nomination soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent, une fois les intéressés nommés, et qu’il importait, notamment, à cette fin, que lesdites conditions et modalités soient conçues de manière à satisfaire aux exigences rappelées au point 55 du présent arrêt [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 134 et 135, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 123].

58      En l’occurrence, les doutes de la juridiction de renvoi au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE portent, en substance, sur les dispositions nationales qui confèrent au Premier ministre de l’État membre concerné un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges, tout en prévoyant l’intervention, dans ce processus, d’un organe chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre.

59      À cet égard, il convient, en premier lieu, de relever que, ainsi qu’il ressort du dossier dont la Cour dispose, les dispositions constitutionnelles portant sur la nomination des juges sont restées inchangées depuis leur adoption au cours de l’année 1964 jusqu’à la réforme de la Constitution intervenue en 2016, qui a institué la commission des nominations judiciaires visée à l’article 96A de la Constitution. Avant cette réforme, le pouvoir du Premier ministre n’était limité que par l’exigence selon laquelle les candidats à un poste de juge devaient remplir les conditions prévues par la Constitution afin de pouvoir prétendre à un tel poste.

60      C’est donc sur la base des dispositions de la Constitution en vigueur avant ladite réforme que la République de Malte a adhéré à l’Union sur la base de l’article 49 TUE.

61      Or, cet article 49, qui prévoit la possibilité pour tout État européen de demander à devenir membre de l’Union, précise que celle-ci regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes actuellement visées à l’article 2 TUE, qui respectent ces valeurs et qui s’engagent à les promouvoir.

62      En particulier, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 168, et arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 30].

63      Il s’ensuit que le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 108].

64      Les États membres sont ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges [voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission), C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 40].

65      Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé, en substance, que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions nationales relevant de l’organisation de la justice de nature à constituer une régression, dans l’État membre concerné, de la protection de la valeur de l’État de droit, en particulier des garanties d’indépendance des juges [voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153].

66      En revanche, l’intervention, dans le contexte d’un processus de nomination des juges, d’un organe tel que la commission des nominations judiciaires instituée, à l’occasion de la réforme de la Constitution en 2016, par l’article 96A de la Constitution peut, en principe, être de nature à contribuer à une objectivisation de ce processus, en encadrant la marge de manœuvre dont dispose le Premier ministre dans l’exercice de la compétence qui lui est conférée en la matière. Encore convient-il qu’un tel organe soit lui-même suffisamment indépendant des pouvoirs législatif et exécutif et de l’autorité à laquelle il est appelé à soumettre un avis portant sur l’évaluation des candidats à un poste de juge [voir, par analogie, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 137 et 138, ainsi que du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 124 et 125].

67      En l’occurrence, une série de règles mentionnées par la juridiction de renvoi apparaissent de nature à garantir l’indépendance de la commission des nominations judiciaires à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif. Il en va ainsi des règles, contenues à l’article 96A, paragraphes 1 à 3, de la Constitution relatives à la composition de cette commission ainsi qu’à l’interdiction pour des personnes politiques d’y siéger, de l’obligation prescrite aux membres de ladite commission à l’article 96A, paragraphe 4, de la Constitution d’agir en toute autonomie et sans être soumis à une direction ou à un contrôle de quelque autre personne ou autorité que ce soit, ainsi que de l’obligation pour cette même commission de publier, avec l’accord du ministre chargé de la Justice, les critères sur lesquels elle base ses évaluations, ce qui a d’ailleurs été fait, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 91 de ses conclusions.

68      Par ailleurs, la juridiction de renvoi n’a, dans la présente affaire, pas fait état de doutes quant aux conditions dans lesquelles les membres de la commission des nominations judiciaires instituée par l’article 96A de la Constitution ont été désignés ou quant à la manière dont ce même organe remplit concrètement son rôle.

69      Il apparaît ainsi que l’institution de la commission des nominations judiciaires par l’article 96A de la Constitution renforce la garantie de l’indépendance des juges.

70      En second lieu, il importe de relever que, comme le met en exergue, notamment, la Commission, si le Premier ministre dispose, conformément aux dispositions nationales en cause au principal, d’un pouvoir certain dans la nomination des juges, il n’en demeure pas moins que l’exercice de ce pouvoir est encadré par les conditions d’expérience professionnelle devant être remplies par les candidats aux postes de juge, ces conditions étant prévues à l’article 96, paragraphe 2, et à l’article 100, paragraphe 2, de la Constitution.

71      Par ailleurs, s’il est vrai que le Premier ministre peut décider de présenter au président de la République la nomination d’un candidat non proposé par la commission des nominations judiciaires instituée par l’article 96A de la Constitution, il est, dans une telle hypothèse, néanmoins tenu, conformément à l’article 96, paragraphe 4, et à l’article 100, paragraphe 6, de la Constitution, de communiquer ses raisons à la Chambre des représentants ainsi que, sauf en ce qui concerne la nomination du juge en chef, au moyen d’une déclaration publiée à  la Gazzetta tal-Gvern ta’ Malta, au public. Or, pour autant que le Premier ministre n’exerce ce pouvoir qu’à titre tout à fait exceptionnel et se tienne au respect strict et effectif d’une telle obligation de motivation, ce pouvoir n’est pas de nature à créer des doutes légitimes quant à l’indépendance des candidats choisis.

72      Compte tenu de tous ces éléments, il n’apparaît pas que les dispositions nationales en cause au principal relatives à la nomination des juges soient, en tant que telles, de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges nommés à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et qu’elles soient ainsi susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

73      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui confèrent au Premier ministre de l’État membre concerné un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges, tout en prévoyant l’intervention, dans ce processus, d’un organe indépendant chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre.

 Sur la troisième question 

74      Compte tenu de la réponse fournie à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

75      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible d’être appliqué dans une affaire dans laquelle une juridiction nationale est saisie d’un recours prévu par le droit national et tendant à ce que cette juridiction se prononce sur la conformité au droit de l’Union de dispositions nationales régissant la procédure de nomination des juges de l’État membre dont relève ladite juridiction. Aux fins de l’interprétation de cette disposition, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être dûment pris en considération.

2)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui confèrent au Premier ministre de l’État membre concerné un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges, tout en prévoyant l’intervention, dans ce processus, d’un organe indépendant chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre.

Signatures


*      Langue de procédure : le maltais.